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possible. Mais maintenant, à leur retour du Palais, ils couraient mettre la tête sous le robinet pour se débarrasser des boucles. Les manières efféminées étaient l’objet de toutes les moqueries. Être envoyé à une réception, y servir de décor, était maintenant considéré plus comme une corvée que comme une faveur.

Quelquefois on menait des petits pages au Palais jouer avec les jeunes grands-ducs. Un jour un de ceux-ci se servant en jouant de son mouchoir en guise de fouet, un des nôtres en fit autant et frappa le grand-duc qui se mit à pleurer. Girardot était épouvanté, tandis que le vieil amiral de Sébastopol, qui était le tuteur du grand-duc, ne fit que féliciter notre camarade.

Un nouvel esprit se développait dans le corps ainsi que dans toutes les écoles : on devenait studieux et sérieux. Jusqu’alors les pages, sûrs d’une façon ou de l’autre d’obtenir les points nécessaires pour être promus officiers de la Garde, passaient les premières années de leur séjour à l’école sans presque étudier, et ce n’est que dans les deux dernières années qu’ils travaillaient plus ou moins. Maintenant les classes inférieures travaillaient très bien. La moralité n’était plus du tout ce qu’elle avait été quelques années auparavant. Les distractions orientales n’étaient plus considérées qu’avec dégoût, et une ou deux tentatives pour revenir aux anciens errements causèrent des scandales dont l’écho parvint jusqu’aux salons de Pétersbourg. Girardot fut destitué. On lui permit seulement de conserver son appartement de célibataire dans l’établissement du corps des pages, et nous le vîmes souvent par la suite se promener enveloppé dans sa longue capote, plongé dans ses réflexions — tristes, je suppose, car il ne pouvait que condamner le nouvel esprit qui se développait rapidement dans le corps des pages.