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Le principe égalitaire résume les enseignements des moralistes. Mais il contient aussi quelque chose de plus. Et ce quelque chose est le respect de l’individu. En proclamant notre morale égalitaire et anarchiste, nous refusons de nous arroger le droit que les moralistes ont toujours prétendu exercer — celui de mutiler l’individu au nom d’un certain idéal qu’ils croyaient bon. Nous ne reconnaissons ce droit à personne ; nous n’en voulons pas pour nous.

Nous reconnaissons la liberté pleine et entière de l’individu ; nous voulons la plénitude de son existence, le développement libre de toutes les facultés. Nous ne voulons rien lui imposer et nous retournons ainsi au principe que Fourier opposait à la morale des religions, lorsqu’il disait : Laissez les hommes absolument libres ; ne les mutilez pas — les religions l’ont assez fait. Ne craignez même pas leurs passions : dans une société libre, elles n’offriront aucun danger.

Pourvu que vous-même n’abdiquiez pas votre liberté ; pourvu que vous-même ne vous laissiez pas asservir par les autres ; et pourvu qu’aux passions violentes et antisociales de tel individu vous opposiez vos passions sociales, tout aussi vigoureuses. Alors vous n’aurez rien à craindre de la liberté[1].


Nous renonçons à mutiler l’individu au nom de n’importe quel idéal : tout ce que nous nous réservons, c’est de franchement exprimer nos sympathies et nos antipathies pour ce que nous trouvons bon ou mauvais. Untel trompe-t-il ses amis ? C’est sa volonté, son caractère ? ? soit ! Eh bien, c’est notre caractère, c’est notre volonté de mépriser le menteur ! Et une fois que tel est notre caractère, soyons francs. Ne nous précipitons pas vers lui pour le serrer sur notre gilet et lui prendre affectueusement la main, comme cela se fait aujourd’hui ! À sa passion active, opposons la nôtre, tout aussi active et vigoureuse.

C’est tout ce que nous avons le droit et le devoir de faire pour maintenir dans la société le principe égalitaire. C’est encore le principe d’égalité, mis en pratique[2].

Tout cela, bien entendu, ne se fera entièrement que lorsque les grandes causes de dépravation : capitalisme, religion, justice, gouvernement, auront cessé d’exister. Mais cela peut se faire déjà en grande partie dès aujourd’hui. Cela se fait déjà.


Et cependant, si les sociétés ne connaissent que ce principe d’égalité ; si chacun, se tenant à un principe d’équité marchande, se gardait

  1. De tous les auteurs modernes, le Norvégien Ibsen, qu’on lira bientôt en France avec passion, comme on le lit déjà en Angleterre, a le mieux formulé ces idées dans ses drames. C’est encore un anarchiste sans le savoir.
  2. Nous entendons déjà dire : « Et l’assassin ? Et celui qui débauche les enfants ? » — À cela notre réponse est courte. L’assassin qui tue simplement par soif de sang est extrêmement rare. C’est un malade à guérir ou à éviter. Quant au débauché, — veillons d’abord à ce que la société ne pervertisse pas les sentiments de nos enfants, alors nous n’aurons rien à craindre de ces messieurs.