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encore un souvenir de cette époque, malgré toute l’altération qu’il a subie par l’immixtion de la civilisation bourgeoise et centralisatrice. Certes, ce contrat n’était pas toujours librement consenti ; le fort et le riche imposaient déjà leur volonté à cette époque. Mais du moins, ils rencontraient un obstacle à leurs tentatives d’envahissement dans la masse populaire qui souvent leur faisait aussi sentir sa force.

Mais, à mesure que l’Église d’une part et le seigneur de l’autre réussissent à asservir le peuple, le droit de légiférer échappe des mains de la nation pour passer aux privilégiés. L’Église étend ses pouvoirs ; soutenue par les richesses qui s’accumulent dans ses coffres, elle se mêle de plus en plus dans la vie privée et sous prétexte de sauver les âmes, elle s’empare du travail de ses serfs ; elle prélève l’impôt sur toutes les classes, elle étend sa juridiction ; elle multiplie les délits et les peines et s’enrichit en proportion des délits commis, puisque c’est dans ses coffres-forts que s’écoule le produit des amendes. Les lois n’ont plus trait aux intérêts nationaux : « on les croirait plutôt émanées d’un Concile de fanatiques religieux que de législateurs », — observe un historien du droit français.

En même temps, à mesure que le seigneur, de son côté, étend ses pouvoirs sur les laboureurs des champs et les artisans des villes, c’est lui qui devient aussi juge et législateur.