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nécessaires pour le matériel de guerre. C’était à qui spéculerait le mieux sur les provisions de fonte, d’acier, de cuivre, de plomb et de nickel.

Il en fut de même pour les provisions de blé, les conserves de viande, de poisson, de légumes. Les cotonnades, les draps, les cuirs suivaient de près. Et, puisque chaque grande industrie fait vivre à côté d’elle une quantité de petites, la fièvre d’une production surpassant de beaucoup la demande se répandait. Les prêteurs d’argent (ou plutôt de crédit), qui alimentaient cette production, profitaient de la fièvre — cela va sans dire — plus encore que les chefs d’industrie.

Et alors, d’un coup, tout s’arrêta soudain, sans qu’on pût invoquer une seule des causes auxquelles on avait attribué les crises précédentes. Le fait est que du jour où la haute finance européenne se persuada que le Japon, ruiné par la guerre en Mandchourie, n’oserait pas attaquer les États-Unis, et qu’aucune des nations européennes ne se sentait assez sûre de la victoire pour dégainer, les capitalistes européens refusèrent de nouveaux crédits aux prêteurs américains qui alimentaient la surproduction en prévision de la guerre, ainsi qu’aux « nationalistes » japonais.

« Plus de guerre à courte échéance ! » — et les usines d’acier, les mines de cuivre, les hauts fourneaux, les chantiers de navires, les tanneries, les spéculateurs sur les denrées, tous suspendirent soudain leurs opérations, leurs commandes, leurs achats.

Ce fut alors plus qu’une crise : ce fut un désastre ! Des millions d’ouvriers et d’ouvrières furent jetés sur le pavé dans la plus affreuse des misères. Grandes et petites usines se fermaient, la contagion se répandait comme pendant une épidémie, en semant l’épouvante tout autour.

Qui dira jamais les souffrances des millions d’hommes, femmes et enfants, les vies brisées, avec lesquelles furent bâties les fortunes des gredins qui avaient spéculé en prévision des monceaux de cadavres humains et des chairs déchiquetées qui allaient s’accumuler dans les grandes batailles !

Voilà ce qu’est la guerre, voilà comment l’État enrichit