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bêtes féroces, se frappant de la crosse du fusil, du couteau, des dents…

Les travailleurs occidentaux ne se doutent même pas de ce terrible retour à la plus affreuse sauvagerie que représente la guerre moderne, et les bourgeois qui le savent se gardent bien de le leur dire.

Mais les guerres modernes, ce n’est pas seulement le massacre, la folie du massacre, le retour, pendant la guerre, à la sauvagerie. C’est aussi la destruction sur une échelle colossale, du travail humain ; et les effets de cette destruction, nous les ressentons parmi nous continuellement, en temps de paix, par un accroissement de la misère parmi les pauvres, l’enrichissement parallèle des riches.

Chaque guerre, c’est la destruction d’un formidable matériel, qui comprend non seulement le matériel de guerre proprement dit, mais aussi les choses les plus nécessaires pour la vie de tous les jours, de toute la société : le pain, les viandes, les légumes, les denrées de toute sorte, les bêtes de trait, le cuir, le charbon, les métaux, les vêtements. Tout cela représente le travail utile de millions d’hommes pendant des dizaines d’années, et tout cela sera gaspillé, brûlé, jeté à l’eau en quelques mois. Mais c’est déjà gaspillé aujourd’hui même, en prévision des guerres.

Et comme ce matériel de guerre, ces métaux, ces provisions doivent être préparés à l’avance, la simple possibilité prochaine d’une nouvelle guerre amène dans toutes nos industries des soubresauts et des crises qui nous atteignent tous. Vous, moi, chacun de nous en ressentons les effets dans les moindres détails de notre vie. Le pain que nous mangeons, le charbon que nous brûlons, le billet de chemin de fer que nous achetons, leur prix, le prix de chaque chose, dépendent des bruits, des probabilités de guerre à courte échéance, propagés par les spéculateurs.