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d’affaires financières qui font l’opinion qu’il leur faut dans l’intérêt de leurs entreprises. Les grands journaux leur appartiennent et le reste ne compte pas.

Mais ce n’est pas tout : la gangrène est encore plus profonde.

Les guerres modernes, ce n’est plus seulement le massacre de centaines de mille hommes dans chaque bataille, — un massacre dont ceux qui n’ont pas suivi les détails des grandes batailles dans la guerre de Mandchourie et les atroces détails du siège et de la défense de Port-Arthur, n’ont absolument aucune idée. Et cependant, les trois grandes batailles historiques, Gravelotte, Potomack et Borodino (de la Moskowa), qui durèrent chacune trois jours, et dans lesquelles il y eut cent mille homme blessés et tués des deux côtés, c’étaient des jeux d’enfants en comparaison des guerres modernes. Les grandes batailles se font aujourd’hui sur un front de cinquante, soixante kilomètres ; elles durent non plus trois jours, mais sept jours (Liao-Yang), dix jours (Moukden), et les pertes sont de cent cinquante mille hommes de chaque côté. Les ravages faits par les obus, lancés avec précision par des batteries placées à cinq, six, sept kilomètres, et dont on ne peut même pas découvrir la position, grâce à la poudre sans fumée, sont inouïs. Lorsque le feu de plusieurs cents bouches à feu est concentré sur un carré d’un kilomètre de côté (comme on le fait aujourd’hui), il ne reste pas un espace de dix mètres carrés qui n’ait reçu son obus, pas un buisson qui n’ait été rasé par les monstres hurlants envoyés on ne sait d’où. La folie s’empare des soldats, après sept ou huit jours de ce feu terrible, et lorsque les colonnes des assaillants arrivent jusqu’aux tranchées ennemies, alors la lutte s’engage corps à corps entre les combattants. Après s’être lancé mutuellement des grenades à la main et des morceaux de pyroxiline (deux morceaux de pyroxiline, liés entre eux par une ficelle étaient employés comme une fronde), les soldats russes et japonais se roulaient dans les tranchées de Port-Arthur comme des