Page:Kropotkine - La Guerre, 1912.djvu/11

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 9 —

10 pour cent, sachant qu’ils ne « réaliseront » l’emprunt qu’à 80 ou 70 pour cent. Ce qui fait que, déduction faite des « commissions » des banques et des intermédiaires, — qui se montent de 10 à 20, et quelquefois même jusqu’à 30 pour cent, — l’État ne reçoit pas même les trois quarts des sommes qu’il inscrit à son grand-livre.

Sur ces sommes, grossies de la sorte, l’État endetté doit payer désormais l’intérêt et l’amortissement. Et lorsqu’il ne le fait pas au terme dû, les banquiers ne demandent pas mieux que d’ajouter les arriérés de l’intérêt et de l’amortissement au principal de l’emprunt. Plus les finances de l’État débiteur vont mal, plus insensées sont les dépenses de ses chefs — et plus volontiers on lui offre de nouveaux emprunts. Après quoi les banquiers s’érigent un jour en « consortium » pour mettre la main sur tels impôts, telles douanes, telles lignes de chemin de fer.

C’est ainsi que les gros financiers ont ruiné et plus tard fait annexer l’Égypte par l’Angleterre. Plus les dépenses du khédive étaient folles, plus on les encourageait. C’était l’annexion à petites doses.

C’est encore de la même façon qu’on ruina la Turquie, pour lui enlever peu à peu ses provinces. Ce fut aussi la même chose, nous dit-on, pour la Grèce, qu’un groupe de financiers poussa à la guerre contre la Turquie, pour s’emparer ensuite d’une partie des revenus de la Grèce vaincue.

Et c’est ainsi que la haute finance de l’Angleterre et des États-Unis exploita le Japon, avant et pendant ses deux guerres contre la Chine et la Russie.

Bref, il y a dans les États prêteurs toute une organisation, dans laquelle gouvernants, banquiers, promoteurs de compagnies, brasseurs d’affaires et toute la gent interlope que Zola a si bien décrite dans L’Argent, se prêtent la main pour exploiter des États entiers.

Là où les naïfs croient découvrir de profondes causes politiques, ou bien des haines nationales, il n’y a que les