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CHAPITRE PREMIER

D’autre part, bien longtemps avant 1789, la France était déjà dans une période d’insurrections. L’avènement de Louis XVI au trône, en 1771, fut le signal de toute une série d’émeutes de la faim. Elles durèrent jusqu’en 1783. Puis vint une période d’accalmie relative. Mais, depuis 1786, et surtout depuis 1788, les insurrections paysannes recommencèrent avec une nouvelle énergie. La famine avait été le motif principal des émeutes de la première série. Maintenant, si le manque de pain restait toujours une des causes des soulèvements, c’était surtout le désir de ne plus payer les redevances féodales qui poussait les paysans à la révolte. Jusqu’en 1789, le nombre de ces émeutes alla en grandissant, et enfin en 1789 elles se généralisèrent dans tout l’est, le nord-est et le sud-est de la France.

Ainsi se désagrégeait le corps social. Cependant une jacquerie n’est pas encore une révolution, alors même qu’elle prendrait des formes aussi terribles que celles du soulèvement des paysans russes en 1773, sous la bannière de Pougatchoff. Une révolution, c’est infiniment plus qu’une série d’insurrections dans les campagnes et dans les villes. C’est plus qu’une simple lutte de partis, si sanglante soit-elle, plus qu’une bataille dans les rues, et beaucoup plus qu’un simple changement de gouvernement, comme la France en fit en 1830 et 1848. Une révolution, c’est le renversement rapide, en peu d’années, d’institutions qui avaient mis des siècles à s’enraciner dans le sol et qui semblaient si stables, si immuables, que les réformateurs les plus fougueux osaient à peine les attaquer dans leurs écrits. C’est la chute, l’émiettement en un petit nombre d’années, de tout ce qui faisait