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Allez dire, dans une réunion populaire, que les perdreaux doivent être réservés aux fainéants délicats de l’aristocratie, et le pain noir aux malades des hôpitaux, vous serez hué.

Mais dites dans cette même réunion, prêchez aux coins des carrefours, que la nourriture la plus délicate doit être réservée aux faibles, aux malades d’abord. Dites que s’il y avait dix perdreaux dans tout Paris et une seule caisse de Malaga, ils devraient être portés dans les chambres des convalescents ; dites cela…

Dites que l’enfant vient de suite après le malade. À lui le lait des vaches et des chèvres, s’il n’y en a pas assez pour tous ! À l’enfant et au vieillard la dernière bouchée de viande et à l’homme robuste le pain sec, si l’on est réduit à cette extrémité.

Dites en un mot que si telle denrée ne se trouve pas en quantités suffisantes, et s’il faut la rationner, c’est à ceux qui en ont le plus besoin qu’on réservera les dernières rations ; dites cela, et vous verrez si l’assentiment unanime ne vous sera pas acquis.

Ce que le repu ne comprend pas, le peuple le comprend ; il l’a toujours compris. Mais ce repu même, s’il est jeté dans la rue, au contact de la masse, il le comprendra aussi.


Les théoriciens, — pour qui l’uniforme et la gamelle du soldat sont le dernier mot de la civilisation, — demanderont sans doute qu’on introduise tout de suite la cuisine nationale et la soupe aux lentilles. Ils invoqueront les avantages qu’il y aurait à économiser le combustible et les denrées, en établissant d’immenses cuisines, où tout le monde viendrait prendre sa ration de bouillon, de pain, de légumes.