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mais pour les remplir on ne disposait que de sommes infimes. Les municipalités se démenaient pour avoir du blé ; on pendait les boulangers qui accaparaient les farines — et le pain manquait toujours.

Alors, on s’en prenait aux conspirateurs royalistes. On en guillotinait, douze, quinze par jour, — des servantes avec des duchesses, surtout des servantes, puisque les duchesses étaient à Coblentz. Mais on aurait guillotiné cent ducs et vicomtes par vingt-quatre heures, que rien n’aurait changé.

La misère allait croissant. Puisqu’il fallait toujours toucher un salaire pour vivre, et que le salaire ne venait pas, — que pouvaient faire mille cadavres de plus ou de moins ?


Alors le peuple commençait de se lasser. — « Elle va bien, votre Révolution ! » soufflait le réactionnaire aux oreilles du travailleur. « Jamais vous n’avez été aussi misérable ! » Et peu à peu, le riche se rassurait ; il sortait de sa cachette, il narguait les va-nu-pieds par son luxe pompeux, il s’affublait en muscadin, et il disait aux travailleurs : — « Voyons, assez de bêtises ! Qu’est-ce que vous avez gagné à la Révolution ? Il est bien temps d’en finir ! »

Et le cœur serré, à bout de patience, le révolutionnaire en arrivait à se dire : « Perdue encore une fois, la Révolution ! » Il rentrait dans son taudis et il laissait faire.

Alors la réaction s’affichait, hautaine. Elle accomplissait son coup d’État. La Révolution morte, il ne lui restait plus qu’à piétiner le cadavre.

Et on le piétinait ! On versait des flots de sang ; la terreur blanche abattait les têtes, peuplait les pri-