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bourreaux, de gendarmes et de geôliers, est nécessaire pour maintenir les privilèges, et cet ensemble devient lui-même l’origine de tout un système de délations, de tromperies, de menaces et de corruption.


En outre, ce système arrête le développement des sentiments sociables. Chacun comprend que sans droiture, sans respect de soi-même, sans sympathie et sans support mutuel, l’espèce doit dépérir, comme dépérissent les quelques espèces animales vivant de brigandage et de servage. Mais cela ne ferait pas le compte des classes dirigeantes, et elles inventent toute une science, absolument fausse, pour prouver le contraire.

On a dit de belles choses sur la nécessité de partager ce que l’on possède avec ceux qui n’ont rien. Mais quiconque s’avise de mettre ce principe en pratique est aussitôt averti que tous ces grands sentiments sont bons dans les livres de poésie — non dans la vie. « Mentir, c’est s’avilir, se rabaisser », disons-nous, et toute l’existence civilisée devient un immense mensonge. Et nous nous habituons, nous accoutumons nos enfants, à vivre avec une moralité à deux faces, en hypocrites ! Et le cerveau ne s’y prêtant pas de bonne grâce, nous le façonnons au sophisme. Hypocrisie et sophisme deviennent la seconde nature de l’homme civilisé.

Mais une société ne peut pas vivre ainsi ; il lui faut revenir à la vérité, ou disparaître.


Ainsi le simple fait de l’accaparement étend ses conséquences sur l’ensemble de la vie sociale. Sous peine de périr, les sociétés humaines sont forcées de revenir aux principes fondamentaux : les moyens de