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toujours ; ayons des forgerons qui ne sauront faire que des têtes ou des pointes de clous, et de cette façon nous produirons davantage. Nous nous enrichirons. »

Quant à savoir si le forgeron, qui aura été condamné à faire des têtes de clous toute sa vie, ne perdra pas tout intérêt au travail ; s’il ne sera pas entièrement à la merci du patron avec ce métier limité ; s’il ne chômera pas quatre mois sur douze ; si son salaire ne baissera pas lorsqu’on pourra aisément le remplacer par un apprenti, Smith n’y pensait guère quand il s’écriait : « Vive la division du travail ! Voilà la vraie mine d’or pour enrichir la nation ! » Et tous de crier comme lui.


Et lors même qu’un Sismondi, ou un J.-B. Say s’apercevaient plus tard que la division du travail, au lieu d’enrichir la nation, n’enrichissait que les riches, et que le travailleur, réduit à faire toute sa vie la dix-huitième partie d’une épingle, s’abrutissait et tombait dans la misère, — que proposaient les économistes officiels ? — Rien ! — Ils ne se disaient pas qu’en s’appliquant ainsi toute la vie à un seul travail machinal, l’ouvrier perdrait son intelligence et son esprit inventif et que, au contraire, la variété des occupations aurait pour résultat d’augmenter considérablement la productivité de la nation. C’est précisément cette question qui vient se poser aujourd’hui.


D’ailleurs, s’il n’y avait que les économistes pour prêcher la division du travail permanent et souvent héréditaire, on les laisserait pérorer à l’aise. Mais, les idées professées par les docteurs de la science s’infiltrent dans les esprits en les pervertissant, et à