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de le faire, et il est admis qu’il en sera toujours ainsi.

Or le travail indispensable à l’existence, est essentiellement manuel. Nous avons beau être des artistes, des savants, aucun de nous ne peut se passer des produits obtenus par le travail des bras : pain, vêtement, routes, vaisseaux, lumière, chaleur, etc. Bien plus : si hautement artistiques ou si subtilement métaphysiques que soient nos jouissances, il n’en est pas une qui ne repose sur le travail manuel. Et c’est précisément de ce labeur, — fondement de la vie, — que chacun cherche à se décharger.


Nous le comprenons parfaitement. Il doit en être ainsi aujourd’hui.

Car faire un travail manuel signifie actuellement s’enfermer dix et douze heures par jour dans un atelier malsain, et rester dix ans, trente ans, toute sa vie, rivé à la même besogne.

Cela signifie se condamner à un salaire mesquin, être voué à l’incertitude du lendemain, au chômage, très souvent à la misère, plus souvent encore à la mort à l’hôpital, après avoir travaillé quarante ans à nourrir, vêtir, amuser et instruire d’autres que soi-même et ses enfants.

Cela signifie : porter toute sa vie aux yeux des autres le sceau de l’infériorité, et avoir soi-même conscience de cette infériorité, car, — quoi qu’en disent les beaux messieurs, — le travailleur manuel est toujours considéré comme l’inférieur du travailleur de la pensée, et celui qui a peiné dix heures à l’atelier n’a pas le temps et encore moins le moyen de se donner les hautes jouissances de la science et de l’art, ni surtout de se préparer à les apprécier ; il