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des livres : elle doit être puisée dans la vie, et la société actuelle ne saurait la donner.

Les Raphaël et les Murillo peignaient à une époque où la recherche d’un idéal nouveau s’accommodait encore des vieilles traditions religieuses. Ils peignaient pour décorer les grandes églises qui, elles-mêmes, représentaient l’œuvre pieuse de plusieurs générations. La basilique, avec son aspect mystérieux, sa grandeur qui la rattachait à la vie même de la cité, pouvait inspirer le peintre. Il travaillait pour un monument populaire ; il s’adressait à une foule et en recevait en retour l’inspiration. Et il lui parlait dans le même sens que lui parlaient la nef, les piliers, les vitraux peints, les statues et les portes ornementées. Aujourd’hui, le plus grand honneur auquel le peintre aspire, c’est de voir sa toile encadrée de bois doré et accrochée dans un musée — une espèce de boutique de bric-à-brac, — où l’on verra, comme on voit au Prado, l’Ascension de Murillo à côté du Mendiant de Vélasquez et des Chiens de Philippe II. Pauvre Vélasquez et pauvre Murillo ! Pauvres statues grecques qui vivaient dans les acropoles de leurs cités et qui étouffent aujourd’hui sous les tentures de drap rouge du Louvre !

Quand un sculpteur grec ciselait son marbre, il cherchait à rendre l’esprit et le cœur de la cité. Toutes ses passions, toutes ses traditions de gloire devaient revivre dans l’œuvre. Mais aujourd’hui, la cité une a cessé d’exister. Plus de communions d’idées. La ville n’est qu’un ramassis occasionnel de gens qui ne se connaissent pas, qui n’ont aucun intérêt général, sauf celui de s’enrichir aux dépens les uns des autres ; la patrie n’existe pas… Quelle patrie peuvent avoir en