Page:Kropotkine - La Conquête du pain.djvu/147

Cette page a été validée par deux contributeurs.

La vie vaudrait-elle la peine d’être vécue avec tous ses chagrins inévitables, si jamais, en dehors du travail quotidien, l’homme ne pouvait se procurer un seul plaisir selon ses goûts individuels ?

Si nous voulons la révolution sociale, c’est certainement, en premier lieu, pour assurer le pain à tous ; pour métamorphoser cette société exécrable, où nous voyons chaque jour des travailleurs robustes marcher les bras ballants faute d’avoir trouvé un patron qui veuille bien les exploiter ; des femmes et des enfants rôder la nuit sans abri ; des familles entières réduites au pain sec ; des enfants, des hommes et des femmes mourir faute de soins, sinon de nourriture. C’est pour mettre fin à ces iniquités que nous nous révoltons.

Mais nous attendons autre chose de la Révolution. Nous voyons que le travailleur, forcé de lutter péniblement pour vivre, est réduit à ne jamais connaître ces hautes jouissances — les plus hautes qui soient accessibles à l’homme — de la science et, surtout, de la découverte scientifique, de l’art et surtout de la création artistique. C’est pour assurer à tout le monde ces joies, réservées aujourd’hui au petit nombre, c’est pour lui laisser le loisir, la possibilité de développer ses capacités intellectuelles, que la Révolution doit garantir à chacun le pain quotidien. Le loisir, — après le pain, — voilà le but suprême.

Certainement, aujourd’hui, lorsque des êtres humains, par centaines de mille, manquent de pain, de charbon, de vêtement et d’abri, le luxe est un crime : pour le satisfaire il faut que l’enfant du travailleur manque de pain ! Mais dans une société où tous mangeront à leur faim, les besoins de ce que nous appelons luxe aujourd’hui ne seront que plus vifs. Et,