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saient le guet, tandis que les plus jeunes continuaient leur repas, environnés par des bandes de corbeaux. De cette observation et d’autres semblables, Siévertsoff conclut que les aigles à queue blanche s’unissent pour la chasse ; quand ils se sont tous élevés à une grande hauteur ils peuvent, s’ils sont dix, surveiller un espace d’une quarantaine de kilomètres carrés et aussitôt que l’un d’eux a découvert quelque chose, il avertit les autres[1]. On peut sans doute objecter qu’un simple cri instinctif du premier aigle, ou même ses mouvements pourraient avoir le même effet d’amener plusieurs aigles vers la proie ; mais il y a une forte présomption en faveur d’un avertissement mutuel, parce que les dix aigles se rassemblèrent avant de descendre sur la proie, et Siévertsoff eut par la suite plusieurs occasions de constater que les aigles à queue blanche se réunissent toujours pour dévorer un cadavre, et que quelques-uns d’entre eux (les plus jeunes d’abord) font le guet pendant que les autres mangent. De fait, l’aigle à queue blanche — l’un des plus braves et des meilleurs chasseurs — vit généralement en bandes, et Brehm dit que lorsqu’il est gardé en captivité il contracte très vite de l’attachement pour ses gardiens.

La sociabilité est un trait commun chez beaucoup d’autres oiseaux de proie. Le milan du Brésil, l’un des plus « impudents » voleurs, est néanmoins un oiseau très sociable. Ses associations pour la chasse ont été décrites par Darwin et par d’autres naturalistes, et c’est un fait avéré que lorsqu’il s’est emparé d’une proie trop grosse il appelle cinq ou six amis pour l’aider à l’emporter. Après une journée active, quand ces

  1. Phénomènes périodiques de la vie des mammifères, des oiseaux et des reptiles de Voroneje, par N. Siévertsoff, Moscou, 1885 (en russe).