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tatou insectivore se mit à chasser les souris ». Les poules devinrent tout à fait rapaces, « les tyrans jaunes (Pitangus) et les Guiras ne se nourrissaient que de souris. » En automne d’innombrables cigognes et hiboux brachyotes arrivèrent pour prendre part aussi au festin général. Puis vint un hiver de sécheresse continue ; l’herbe sèche fut mangée ou tomba en poussière ; et les souris, privées d’abri et de nourriture, moururent en masse. Les chats rentrèrent dans les maisons ; les hiboux brachyotes — qui sont voyageurs — quittèrent la région ; tandis que les petites chouettes des terriers furent mises à un régime si réduit qu’elles devinrent à peine capables de voler « et rôdaient autour des maisons tout le long du jour à l’affût de quelque nourriture ». Les moutons et les bestiaux périrent ce même hiver en nombres incroyables, pendant un mois de froid qui suivit la sécheresse. Quant aux souris, Hudson écrit que « à peine quelques misérables vestiges en subsistèrent pour perpétuer l’espèce après cette grande réaction. »

Cet exemple a encore un autre intérêt ; il montre comment, sur les plaines et les plateaux, l’accroissement soudain d’une espèce attire immédiatement des ennemis venus d’ailleurs, et comment les espèces qui ne trouvent pas de protection dans leur organisation sociale doivent nécessairement succomber.

Le même auteur nous donne un autre excellent exemple observé dans la République Argentine. Le coypou (Myopotamus coypù) est, en ce pays, un rongeur très commun — il a la forme d’un rat, mais il est aussi grand qu’une loutre. Il est aquatique et très sociable : « Le soir, écrit Hudson, ils s’en vont tous nager et jouer dans l’eau, conversant ensemble par des sons étranges, qui semblent des gémissements et des plaintes d’hommes blessés. Le coypou qui a une belle fourrure fine sous ses longs poils grossiers, fut l’objet d’une grande exportation en Europe ; mais il y a environ soixante ans, le dictateur Rosas promulgua un décret défendant la chasse de ces animaux. Le résultat fut qu’ils se mirent à multiplier à l’excès : abandonnant leurs habitudes aquatiques, ils devinrent terrestres et