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trente ouvriers venaient pour aider à servir la soupe, chacun prenant autant qu’il pouvait sur le temps de son propre repas. Cela dura deux mois. Personne ne fut payé.

Mon amie mentionne aussi différents cas particuliers, dont les suivants sont caractéristiques : « Annie W... fut mise par sa mère chez une vieille femme (dans Wilmot-Street), qui devait se charger de la garder et de la nourrir. Quand la mère mourut, la vieille femme, qui était elle-même très pauvre, garda l’enfant sans recevoir un sou pour cela. Lorsque la vieille femme mourut aussi, l’enfant, qui avait alors cinq ans et qui naturellement avait été négligée durant la maladie, était en haillons ; mais elle fut prise immédiatement par Mme S..., la femme d’un cordonnier, qui avait elle-même six enfants. Dernièrement, pendant que le mari était malade, ils n’avaient guère à manger, ni les uns ni les autres. »

L’autre jour Mme M..., mère de six enfants, soigna Mme M..., durant sa maladie et prit chez elle l’aîné des enfants... Mais avez-vous besoin de tels faits ? Ils sont tout à fait communs... Je connais aussi Mme D... (Oval, Hackney Road) qui a une machine à coudre et qui coud constamment pour d’autres, sans accepter aucune rémunération, quoiqu’elle ait elle-même à prendre soin de ses cinq enfants et de son mari... Et ainsi de suite.


Pour qui connaît un peu la vie des classes ouvrières il est évident que si l’entr’aide n’y était pas pratiquée largement, elles ne pourraient venir à bout de toutes les difficultés qui les entourent. Ce n’est que par hasard qu’une famille d’ouvriers peut traverser la vie sans avoir à faire face à des circonstances telles que la crise décrite par l’ouvrier en rubans, Joseph Gutteridge, dans son autobiographie[1]. Et si tous ne sombrent pas dans de telles circonstances, ils le doivent à l’entr’aide. Dans le cas de Gutteridge, ce fut une vieille servante, misérablement

  1. Light and Shadows in the Life of an Artisan, Coventry, 1893.