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dans leur ignorance naïve, rapportent tout le progrès de l’industrie et de la mécanique moderne aux « merveilleux effets » du même principe. La religion même des prédicateurs de l’église est une religion d’individualisme, légèrement mitigée par des rapports plus ou moins charitables avec les voisins — particulièrement le dimanche. Hommes d’action « pratique » et théoriciens, hommes de science et prédicateurs religieux, hommes de loi et politiciens, tous sont d’accord sur un point : l’individualisme, disent-ils, peut bien être plus ou moins adouci dans ses conséquences les plus âpres par la charité, mais il reste la seule base certaine pour le maintien de la société et son progrès ultérieur.

Il semblerait, par conséquent, inutile de chercher des institutions ou des habitudes d’entr’aide dans notre société moderne. Que pourrait-il en rester ? Et cependant, aussitôt que nous essayons de comprendre comment vivent les millions d’êtres humains, et que nous commençons à étudier leurs rapports de chaque jour, nous sommes frappés de la part immense que les principes d’entr’aide et d’appui mutuel tiennent encore aujourd’hui dans la vie humaine. Quoique la destruction des institutions d’entr’aide ait été poursuivie, en pratique et en théorie depuis plus de trois ou quatre cents ans, des centaines de millions d’hommes continuent à vivre avec de telles institutions ; ils les conservent pieusement et s’efforcent de les reconstituer là où elles ont cessé d’exister. En outre, dans nos relations mutuelles, chacun de nous a ses mouvements de révolte contre la foi individualiste qui domine aujourd’hui, et les actions dans lesquelles les hommes sont guidés par leurs inclinations d’entr’aide constituent une si grande partie de nos rapports de chaque jour que si de telles actions pouvaient être supprimées, toute espèce de progrès moral serait immédiatement arrêtée. La société