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pain doit être cuit « avec justice », et ainsi de suite. Si nous transportons ce langage dans notre vie d’aujourd’hui il semblera affecté et peu naturel ; mais il était naturel et simple alors, parce que l’artisan du moyen âge ne produisait pas pour un acheteur inconnu, ou pour envoyer ses marchandises sur un marché inconnu. Il produisait d’abord pour sa guilde : pour une fraternité d’hommes qui se connaissaient les uns les autres, qui connaissaient la technique du métier, et qui, en établissant le prix de chaque produit, tenaient compte de l’habileté déployée dans la fabrication et de la somme de travail qu’il avait fallu. Puis c’était la guilde, non le producteur particulier, qui offrait les marchandises pour la vente à la commune, et celle-ci, à son tour, offrait à la fraternité des communes alliées les marchandises qu’elle exportait, assumant la responsabilité de leur bonne qualité. Une telle organisation faisait naître en chaque corps de métier l’ambition d’offrir des marchandises qui ne fussent pas de qualité inférieure ; les défauts techniques ou les falsifications devenaient un sujet qui touchait la commune entière, parce que, disait une ordonnance : « cela détruirait la confiance publique[1] ». La production étant ainsi un devoir social, placé sous le contrôle de l’entière amitas, le travail manuel, tant que la cité libre fut vivante, ne put tomber dans le discrédit où il est maintenant.

Une différence entre maître et apprenti ou entre maître et ouvrier (compayne, Geselle) existait depuis l’origine dans les cités du moyen âge ; mais ce fut d’abord une simple différence d’âge et d’habileté, non de richesse et de pouvoir. Après un apprentissage de

  1. Janssen, Geschichte des deutschen Volkes, I, 315 ; Gramich, Würzburg ; ou n’importe quel recueil d’ordonnances.