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commun de ses produits et l’achat en commun des matières premières. Ses membres étaient marchands et ouvriers en même temps. C’est ainsi que la prédominance prise par les anciennes guildes d’artisans au début même de la vie de la cité libre assura au travail manuel la haute position qu’il occupa par la suite dans la cité[1]. En effet, dans une cité du moyen âge le travail manuel n’était pas un signe d’infériorité ; il gardait, au contraire, les traces du respect dont on l’entourait dans la commune villageoise. Le travail manuel, dans un des « mystères », était considéré comme un pieux devoir envers les citoyens : une fonction publique (Amt) aussi honorable que n’importe quelle autre. Producteurs et trafiquants étaient alors pénétrés d’une idée de « justice », envers la communauté, de respect des « droits » tant du producteur que du consommateur, qui semblerait bien étrange aujourd’hui. L’ouvrage du tanneur, du tonnelier, du cordonnier doit être de « bon et honnête ouvrage », écrivait-on en ce temps-là. Le bois, le cuir ou le fil qu’emploie l’artisan doit être de « bon » bois, de « bon » cuir ou de « bon » fil ; le

  1. Pour tout ce qui concerne les guildes marchandes, voir l’ouvrage très complet de Ch. Gross, The Guild Merchand (Oxford, 1890, 2 vol.), ainsi que les remarques de Mrs. Green dans Town Life in the Fifteenth Century, vol. II, ch. V, VIII, X ; et la critique de ce sujet par A. Doren dans Schmoller, Forschungen, vol. XII. Si les considérations indiquées dans le chapitre précédent (selon lesquelles le commerce était communal à l’origine) se trouvent vérifiées, il sera permis de suggérer, comme hypothèse possible, que la guilde marchande fut un corps chargé du commerce dans l’intérêt de la cité entière, et ne devint que graduellement une guilde de marchands faisant du commerce pour eux-mêmes ; tandis qu’il était réservé aux marchands aventuriers de la Grande-Bretagne, aux povolniki de Novgorod (marchands et colonisateurs libres) et aux mercati personati d’ouvrir de nouveaux marchés et de nouvelles branches de commerce pour eux-mêmes. En résumé, il faut noter que l’origine de la cité du moyen âge ne peut être attribuée à aucun facteur spécial. Ce fut un résultat de beaucoup de facteurs plus ou moins importants.