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Des milliers de centres fortifiés furent élevés grâce à l’énergie des communes villageoises ; et une fois qu’elles eurent bâti leurs murs, et qu’un intérêt commun se trouva créé dans ce nouveau sanctuaire — les murs de la ville — les communeux comprirent qu’ils pouvaient dorénavant résister aux empiétements de leurs ennemis intérieurs, les seigneurs, aussi bien qu’aux invasions des étrangers. Une nouvelle vie de liberté commença à se développer dans ces enceintes fortifiées. La cité du moyen âge était née[1].

Nulle période de l’histoire ne peut mieux montrer le pouvoir créateur des masses populaires que le Xe et le XIe siècles, lorsque les villages et les places de marché fortifiés, — autant d’« oasis dans la forêt féodale » — commencèrent à se libérer du joug des sei-

  1. Si je suis ainsi les théories défendues depuis longtemps par Maurer (Geschichte der Stadteverfassung in Deutschland, Erlangen, 1869) c’est parce qu’il a clairement démontré comment la commune du village s’est transformée en cité médiévale par une évolution ininterrompue et que seule cette manière de voir peut expliquer l’universalité du mouvement communaliste. Savigny et Eichhorn et leurs continuateurs ont certainement prouvé que les traditions des municipes romains n’avaient jamais entièrement disparu. Mais ils ne tiennent aucun compte de la période des communes villageoises qui, chez les barbares, précédèrent les villes. Le fait est que, chaque fois que la civilisation recommença de nouveau, en Grèce, à Rome ou dans l’Europe centrale, elle passa par les mêmes phases — la tribu, la commune villageoise, la cité libre, l’État — chacun représentant une évolution naturelle de la phase précédente. Bien entendu, l’expérience de chaque civilisation n’était pas perdue. La Grèce (influencée elle-même par les civilisations de l’Orient) influença Rome, et Rome a influencé notre civilisation ; mais chacune de ces civilisations commença de même par la tribu. Et si nous ne pouvons pas dire que nos États sont la continuation de l’État romain, nous ne pouvons pas dire non plus que les cités du moyen âge en Europe (y compris la Scandinavie et la Russie) furent une continuation des cités romaines. Elles étaient une continuation des communautés villageoises barbares, influencées jusqu’à un certain point par les traditions des villes romaines.