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vaste série de faits montrant la vie animale et humaine sous un aspect entièrement différent. Il était nécessaire d’indiquer l’importance capitale qu’ont les habitudes sociales dans la nature et dans l’évolution progressive, tant des espèces animales que des êtres humains ; de prouver qu’elles assurent aux animaux une meilleure protection contre leurs ennemis, très souvent des facilités pour la recherche de leur nourriture (provisions d’hiver, migrations, etc.), une plus grande longévité et, par conséquent, une plus grande chance de développement des facultés intellectuelles ; enfin il fallait montrer qu’elles ont donné aux hommes, outre ces avantages, la possibilité de créer les institutions qui ont permis à l’humanité de triompher dans sa lutte acharnée contre la nature et de progresser, malgré toutes les vicissitudes de l’histoire. C’est ce que j’ai fait. Aussi est-ce un livre sur la loi de l’entr’aide, considérée comme l’un des principaux facteurs de l’évolution ; mais ce n’est pas un livre sur tous les facteurs de l’évolution et sur leur valeur respective. Il fallait que ce premier livre-ci fût écrit pour qu’il soit possible d’écrire l’autre.

Je serais le dernier à vouloir diminuer le rôle que la revendication du « moi » de l’individu a joué dans l’évolution de l’humanité. Toutefois ce sujet exige, à mon avis, d’être traité beaucoup plus à fond qu’il ne l’a été jusqu’ici. Dans l’histoire de l’humanité la revendication du moi individuel a souvent été, et est constamment, quelque chose de très différent, quelque chose de beaucoup plus large et de beaucoup plus profond que cet « individualisme » étroit, cette « revendication personnelle », inintelligente et bornée qu’invoquent un grand nombre d’écrivains. Et les individus qui ont fait l’histoire n’ont pas été seulement ceux que les historiens ont représenté comme des héros. Mon intention est donc, si les circonstances le permettent, d’examiner séparément la part qu’a eue la revendication du « moi » individuel dans l’évolution progressive de l’humanité. Je ne puis faire ici que les quelques remarques suivantes d’un caractère tout à fait général. Lorsque les diverses institutions successives