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en aucune façon récompenser en argent, ni par aucune autre forme de salaire.

Comme les Kabyles connaissent déjà la propriété privée, ils ont des riches et des pauvres parmi eux. Mais comme tous les gens qui vivent tout près les uns des autres et savent comment la pauvreté commence, ils la considèrent comme un accident qui peut frapper chacun. « Ne dis pas que tu ne porteras jamais le sac du mendiant, ni que tu n’iras jamais en prison », dit un proverbe des paysans russes ; les Kabyles le mettent en pratique, et on ne peut découvrir aucune différence d’attitude entre riches et pauvres ; quand le pauvre convoque une « aide », l’homme riche vient travailler dans son champ, tout comme le pauvre le fera réciproquement à son tour[1]. De plus, les djemmâas réservent certains champs et jardins quelquefois cultivés en commun, pour l’usage des membres les plus pauvres. Beaucoup de coutumes semblables continuent d’exister. Comme les familles pauvres ne peuvent pas acheter de la viande, il en est acheté régulièrement avec l’argent des amendes, ou avec les dons faits à la djemmâa, ou encore avec le produit des paiements pour l’usage des cuves communales pour faire l’huile d’olive ; cette viande est distribuée en parts égales à ceux qui n’ont pas les moyens d’en acheter eux-mêmes. Lorsqu’un mouton ou un jeune bœuf est tué par une famille pour son propre usage et que ce n’est pas un jour de marché, le fait est annoncé dans les rues par le crieur du village, afin que les malades et les femmes

  1. Lorsqu’on convoque une « aide », il faut offrir un repas aux invités. Un de mes amis du Caucase me dit que, en Géorgie, quand un pauvre homme a besoin d’une « aide », il emprunte à un riche un mouton ou deux pour préparer le repas, et les membres de la commune apportent, outre leur propre travail, autant de provisions qu’il lui en faut pour payer sa dette. Une habitude semblable existe chez les Mordoviens.