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d’ailleurs, que cette affirmation est fortement exagérée. De plus, la « chasse aux têtes » des Dayaks prend un tout autre aspect quand nous apprenons que le prétendu chasseur de tête n’est pas poussé du tout par une passion personnelle. S’il cherche à tuer un homme il le fait pour obéir à ce qu’il considère comme une obligation morale envers sa tribu, exactement comme le juge européen qui, par obéissance envers le même principe, évidemment faux, qui veut aussi « du sang pour du sang », remet le meurtrier condamné au bourreau. Tous les deux, le Dayak et le juge, éprouveraient jusqu’à du remords si quelque sympathie les émouvait et les poussait à épargner le meurtrier. C’est pourquoi les Dayaks, quand on met de côté les meurtres qu’ils commettent pour satisfaire leur conception de justice, sont dépeints par tous ceux qui les connaissent comme un peuple très sympathique. Ainsi Carl Bock, le même auteur qui a fait une si terrible description de la chasse aux têtes, écrit :


En ce qui regarde la moralité, il me faut assigner aux Dayaks une place élevée dans l’échelle de la civilisation..., le brigandage et le vol sont tout à fait inconnus parmi eux. Ils sont aussi très véridiques... Si je n’obtenais pas toujours d’eux « toute » la vérité, au moins ce que j’obtenais d’eux était toujours la vérité. Je voudrais pouvoir en dire autant des Malais (pp. 209 et 210).


Le témoignage de Bock est pleinement corroboré par celui d’Ida Pfeiffer. « Je reconnais pleinement, écrit-elle, que j’aimerais voyager plus longtemps parmi eux. Je les ai trouvés généralement honnêtes, bons et réservés... et même beaucoup plus qu’aucune nation que je connaisse[1] .» Stoltze emploie presque les mêmes

  1. Ida Pfeiffer, Meine zweite Weltreise, Vienne, 1866, vol. I, p. 116 et suiv. Voir aussi Muller et Temminch, Dutch Possessions