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développement des idées exprimées par Darwin lui-même dans The Descent of Man, me sembla si juste et d’une si grande importance, que dès que j’en eus connaissance (en 1883), je commençai à réunir des documents pour la développer. Kessler n’avait fait que l’indiquer brièvement dans sa conférence, et la mort (il mourut en 1881) l’avait empêché d’y revenir.

Sur un point seulement, je ne pus entièrement accepter les vues de Kessler. Kessler voyait dans « les sentiments de famille » et dans le souci de la progéniture (voir plus loin, chapitre i) la source des penchants mutuels des animaux les uns envers les autres. Mais, déterminer jusqu’à quel point ces deux sentiments ont contribué à l’évolution des instincts sociables, et jusqu’à quel point d’autres instincts ont agi dans la même direction, me semble une question distincte et très complexe que nous ne pouvons pas encore discuter. C’est seulement après que nous aurons bien établi les faits d’entr’aide dans les différentes classes d’animaux et leur importance pour l’évolution, que nous serons à même d’étudier ce qui appartient, dans l’évolution des sentiments sociables, aux sentiments de famille et ce qui appartient à la sociabilité proprement dite, qui a certainement son origine aux plus bas degrés de l’évolution du monde animal, peut-être même dans les « colonies animales ». Aussi m’appliquai-je surtout à établir tout d’abord l’importance du facteur de l’entr’aide dans l’évolution, réservant pour des recherches ultérieures l’origine de l’instinct d’entr’aide dans la nature.

L’importance du facteur de l’entr’aide « si seulement on en pouvait démontrer la généralité » n’échappa pas au vif génie naturaliste de Gœthe. Lorsqu’un jour Eckermann dit à Gœthe — c’était en 1827 — que deux petits de roitelets, qui s’étaient échappés, avaient été retrouvés le jour suivant dans un nid de rouges-gorges (Rothkehlchen), qui nourrissaient ces oisillons en même temps que leurs propres petits, l’intérêt de Gœthe fut vivement éveillé par ce récit. Il y vit une confirmation de ses conceptions panthéistes, et dit : « S’il était vrai que ce fait de nourrir un étranger se rencontrât dans toute la Nature et eût