Page:Kropotkine - L Entraide un facteur de l evolution, traduction Breal, Hachette 1906.djvu/104

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

survie et de développement progressif ultérieur. Elles prospèrent, tandis que les espèces non sociables dépérissent.

Il serait donc tout à fait contraire à ce que nous savons de la nature que les hommes fassent exception à une règle si générale : qu’une créature désarmée, comme le fut l’homme à son origine, eût trouvé la sécurité et le progrès non dans l’entr’aide, comme les autres animaux, mais dans une concurrence effrénée pour des avantages personnels, sans égard aux intérêts de l’espèce. Pour un esprit accoutumé à l’idée d’unité dans la nature une telle proposition semble parfaitement insoutenable. Et cependant, tout improbable et anti-philosophique qu’elle fût, elle n’a jamais manqué de partisans. Il y a toujours eu des écrivains pour juger l’humanité avec pessimisme. Ils la connaissaient plus ou moins superficiellement dans les limites de leur propre expérience ; ils savaient de l’histoire ce qu’en disent les annalistes, toujours attentifs aux guerres, à la cruauté, à l’oppression, et guère plus ; et ils en concluaient que l’humanité n’est autre chose qu’une agrégation flottante d’individus, toujours prêts à combattre l’un contre l’autre et empêchés de le faire uniquement par l’intervention de quelque autorité.

Ce fut l’attitude qu’adopta Hobbes ; et tandis que quelques-uns de ses successeurs du xviiie siècle s’efforçaient de prouver qu’à aucune époque de son existence, pas même dans sa condition la plus primitive, l’humanité n’a vécu dans un état de guerre perpétuelle, que les hommes ont été sociables même à « l’état de nature », et que ce fut l’ignorance plutôt que les mauvais penchants naturels de l’homme qui poussa l’humanité aux horreurs des premières époques historiques, l’école de Hobbes affirmait, au contraire, que le prétendu « état de nature » n’était autre