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commune, déterminent le taux de la lésion : tant de bétail pour telle blessure ou pour tel meurtre. Pour le vol, c’est simplement la restitution de la chose volée ou de son équivalent, plus une amende payée aux dieux locaux ou à la commune.

Mais peu à peu, au milieu des migrations et des conquêtes, les communes libres de beaucoup de peuplades sont asservies ; les tribus et les fédérations aux usages différents se mêlent sur un même territoire, il y a les conquérants et les conquis. Et il y a en plus le prêtre et l’évêque — sorciers redoutés — de la religion chrétienne qui sont venus s’établir parmi eux. Et peu à peu, au barde, au juge invité, aux anciens qui déterminaient jadis le taux de la compensation, se substitue le juge envoyé par l’évêque, le chef de la bande militaire des conquérants, le seigneur ou le roitelet. Ceux-ci, ayant appris quelque chose dans les monastères ou à la cour des roitelets, et s’inspirant des exemples du Vieux Testament, deviendront peu à peu juges dans le sens moderne du mot. L’amende qui était jadis payée aux dieux locaux — à la commune — va maintenant à l’évêque, au roitelet, à son lieutenant, ou au seigneur. L’amende devient le principal, tandis que la compensation allouée aux lésés pour le mal qui leur fut fait, perd de son importance vis-à-vis l’amende payée à ce germe de l’État. L’idée de punition commence à s’introduire, puis à dominer. L’Église chrétienne surtout ne veut pas se contenter d’une compensation ; elle veut punir, imposer son autorité, terroriser selon le modèle de ses devancières hébraïques. Une blessure faite à un homme du clergé n’est plus une simple blessure : c’est un crime de lèse-divinité. En plus de la compensation, il faut le châtiment, et la barbarie du châtiment va en croissant. Le pouvoir séculaire fait de même.

Aux dixième et onzième siècles se dessine la révolution des communes urbaines. Elles commencent