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tuer, et son lieutenant, le bourreau, qui garrotte en plein soleil à Madrid ou guillotine dans les brumes à Paris, aux ricanements des dégradés de la société ; le général qui massacre à Bac-leh et le correspondant du journal qui s’évertue à couvrir de gloriole les assassins ; le patron qui empoisonne ses ouvriers par la céruse, parce que — répond-il — il « coûterait telle somme en plus pour y substituer le blanc de zinc » ; le soi-disant géographe anglais qui tue une vieille femme pour qu’elle ne réveille pas un village ennemi par ses sanglots, et le géographe allemand qui fait pendre pour infidélité la fille nègre qu’il avait prise pour concubine ; le conseil de guerre qui se contente de quinze jours d’arrêt pour le garde-chiourme de Biribi convaincu d’assassinat… tout, tout, tout dans la société actuelle enseigne le mépris absolu de la vie humaine — de cette chair qui coûte si peu sur le marché ! Et eux, qui garrottent, qui assassinent, qui tuent la marchandise humaine dépréciée, eux, qui ont fait une religion de cette maxime, que pour le salut public il faut garrotter, fusiller et tuer, ils se plaignent que l’on ne respecte pas assez la vie humaine !

Non, citoyennes et citoyens, tant que la société réclamera la loi du talion, tant que la religion et la loi, la caserne et la cour de justice, la prison et le bagne industriel, la presse et l’école continueront à enseigner le mépris suprême de la vie de l’individu, — ne demandez pas aux révoltés contre cette société de la respecter ! Ce serait exiger d’eux en douceur et en magnanimité un degré infiniment supérieur à celui de toute la société.

Si vous voulez, comme nous, que la liberté entière de l’individu, et conséquemment sa vie, soit respectée