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Si les messieurs placés au pouvoir étaient réellement ces êtres intelligents et dévoués à la cause publique, dont les panégyristes de l’autorité aiment à nous entretenir, — quelle jolie utopie gouvernementale et patronale n’arriverait-on pas à construire ! Le patron n’y serait jamais le tyran de l’ouvrier, il en serait le père ! L’usine serait un lieu de délices et jamais des populations de travailleurs ne seraient vouées au dépérissement physique. L’État n’empoisonnerait pas ses ouvriers par la fabrication des allumettes à phosphore blanc, qu’il est si facile de remplacer par le phosphore rouge. Le juge n’aurait pas la férocité de condamner la femme et les enfants de celui qu’il envoie en prison, à souffrir des années de faim et de misère et à mourir un jour d’anémie : jamais un procureur ne demanderait la tête d’un accusé pour l’unique plaisir de faire valoir ses talents oratoires, et nulle part ne se trouverait un geôlier ni un Deibler pour exécuter les sentences que les juges n’ont pas le courage d’exécuter eux-mêmes. Que dis-je ! On n’aurait jamais assez de Plutarques pour raconter les vertus des députés, ayant les chèques en horreur ! Biribi deviendrait une pépinière austère de vertus, et les armées permanentes seraient la joie des citoyens, puisque les soldats ne prendraient le fusil que pour parader devant les bonnes d’enfants, et pour porter des bouquets de fleurs à la pointe de leurs baïonnettes !

Oh, la belle utopie, le beau rêve de Noël que l’on fait, dès qu’on admet que les gouvernants représentent une caste supérieure connaissant peu ou point les faiblesses des simples mortels ! Il suffirait alors de les faire se contrôler hiérarchiquement les uns par les autres, de leur permettre d’échanger tout au plus une