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« contrôle des autorités » est une formule hypocrite, fabriquée par les détenteurs du pouvoir pour faire croire au « peuple souverain » qu’ils méprisent, que c’est lui qui gouverne. C’est parce que nous connaissons les hommes que nous disons à ceux qui s’imaginent que, sans eux, les hommes s’entre-dévoreraient : Vous raisonnez comme ce roi qui, renvoyé à la frontière, s’écriait : « Que vont devenir mes pauvres sujets sans moi ! »

Ah, si les hommes étaient ces êtres supérieurs dont les utopistes de l’autorité aiment à nous parler, si nous pouvions fermer les yeux sur la réalité et vivre, comme eux, dans un monde d’illusions sur la supériorité de ceux qui se croient appelés au pouvoir, peut-être ferions-nous comme eux. Nous croirions aux vertus des gouvernants.

Avec des maîtres vertueux, quel danger pouvait offrir l’esclavage ? Vous souvenez-vous du maître d’esclaves dont on nous a tant parlé, il y a trente ans à peine ? N’était-il pas censé prendre des soins paternels de ses esclaves ? Lui seul pouvait empêcher ces paresseux, ces nonchalants, ces enfants imprévoyants de mourir de faim. Lui, écraser ses esclaves sous le fardeau du travail, ou les mutiler sous les coups ! Comment l’aurait-il fait puisque son intérêt direct était de les bien nourrir, de bien les soigner, de les traiter comme ses enfants ! Et puis, « la loi » ne veillait-elle pas à punir les moindres écarts d’un maître qui aurait oublié ses devoirs ? Ah, que de fois on nous l’a dit ! Mais la réalité était telle que, revenu de son voyage au Brésil, Charles Darwin fut hanté toute sa vie par les cris d’angoisse d’esclaves mutilés, par les sanglots des femmes gémissant, leurs doigts serrés dans des poucettes.