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alors qu’elle en a bien les attributs, puisqu’elle se vend toujours au plus donnant.

Ce que l’économiste appelle sur-production n’est ainsi qu’une production qui dépasse la force d’achat des travailleurs, réduits à la pauvreté par le Capital et l’État. Or, cette sorte de sur-production reste fatalement la caractéristique de la production capitaliste actuelle, puisque — Proudhon l’avait déjà bien dit — les travailleurs ne peuvent pas acheter avec leurs salaires ce qu’ils ont produit, et grassement nourrir en même temps les nuées d’oisifs qui vivent sur leurs épaules.

L’essence même du système économique actuel est que l’ouvrier ne pourra jamais jouir du bien-être qu’il aura produit, et que le nombre de ceux qui vivent à ses dépens ira toujours en augmentant. Plus un pays est avancé en industrie, plus ce nombre est grand. Forcément encore, l’industrie est dirigée, et devra être dirigée, non pas vers ce qui manque pour satisfaire aux besoins de tous, mais vers ce qui, à un moment donné, rapporte les plus gros bénéfices temporaires à quelques-uns. De toute nécessité, l’abondance des uns sera basée sur la pauvreté des autres, et le malaise du grand nombre devra être maintenu à tout prix, afin qu’il y ait des bras qui se vendent pour une partie seulement de ce qu’ils sont capables de produire ; sans cela, point d’accumulation privée du capital !

Ces traits caractéristiques de notre système économique en font l’essence même. Sans eux, il ne peut exister : car, qui donc vendrait sa force de travail pour moins que ce qu’elle est capable de donner, s’il n’y était forcé par la menace de la faim ? Et ces traits essentiels du système en sont aussi la plus écrasante condamnation.