Page:Kropotkine - L’État - son rôle historique, 1906.djvu/8

Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’État restent aussi obscures qu’elles le sont aujourd’hui, ce sera, à n’en pas douter, sur cette question que s’engageront les luttes les plus obstinées, lorsque — bientôt, je l’espère — les idées communistes chercheront leur réalisation pratique dans la vie des sociétés.

Il importe donc, après avoir si souvent fait la critique de l’État actuel, de rechercher le pourquoi de son apparition, d’approfondir la part qu’il a jouée dans le passé, de le comparer aux institutions auxquelles il s’est substitué.

Entendons-nous d’abord sur ce que nous voulons comprendre sous le nom d’État.

Il y a, vous le savez, l’école allemande qui se plaît à confondre l’État avec la Société. Cette confusion se rencontre chez les meilleurs penseurs allemands et beaucoup de français, qui ne peuvent concevoir la société que dans la concentration étatiste ; et c’est pourquoi on reproche habituellement aux anarchistes de vouloir « détruire la société », de prêcher le retour à « la guerre perpétuelle de chacun contre tous ».

Cependant, raisonner ainsi, c’est entièrement ignorer les progrès accomplis dans le domaine de l’histoire durant cette dernière trentaine d’années ; c’est ignorer que l’homme a vécu en sociétés pendant des milliers d’années, avant d’avoir connu l’État ; c’est oublier que pour les nations européennes, l’État est d’origine récente — qu’il date à peine du XVIe siècle ; c’est méconnaître enfin que les périodes les plus glorieuses de l’humanité furent celles où les libertés et la vie locale n’étaient pas encore détruites par l’État, et où les masses d’hommes vivaient en communes et en fédérations libres.

L’État n’est qu’une des formes revêtues par la Société dans le courant de l’histoire. Comment donc confondre le permanent et l’accidentel ?

D’autre part, on a aussi confondu l’État avec le Gouvernement. Puisqu’il ne peut y avoir d’État sans gouvernement, on a dit quelquefois que c’est l’absence de gouvernement, et non l’abolition de l’État, qu’il faut viser.

Il me semble cependant, que dans l’État et le gouvernement, nous avons deux notions d’ordre différent. L’idée d’État implique bien autre chose que l’idée de gouvernement. Elle comprend non seulement l’existence d’un pouvoir placé au-dessus de la société, mais aussi une concentration territoriale et une concentration de beaucoup de fonctions de la vie des sociétés entre les mains de quelques-uns. Elle implique certains nouveaux rapports entre les membres de la société, qui n’existaient pas avant la formation de l’État.

Cette distinction, qui échappe, peut-être, à première vue, apparaît surtout quand on étudie les origines de l’État.