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I

En prenant pour sujet de cette conférence[1] l’État et son rôle historique, j’ai pensé répondre à un besoin qui se fait vivement sentir en ce moment : celui d’approfondir l’idée même de l’État, d’étudier son essence, son rôle dans le passé et la part qu’il peut être appelé à jouer dans l’avenir.

C’est surtout dans la question de l’État que se trouvent divisés les socialistes. Dans l’ensemble des fractions qui existent parmi nous, et qui répondent aux différents tempéraments, aux différentes manières de penser, et surtout au degré de confiance dans la prochaine révolution, deux grands courants se dessinent.

Il y a ceux, d’une part, qui espèrent accomplir la révolution sociale dans l’État : maintenir la plupart de ses attributions, les étendre même, les utiliser pour la révolution. Et il y a ceux qui, comme nous, voient dans l’État, non seulement sous sa forme actuelle, mais dans son essence même et sous toutes les formes qu’il pourrait revêtir, un obstacle à la révolution sociale : l’empêchement par excellence à l’éclosion d’une société basée sur l’égalité et la liberté, la forme historique élaborée pour prévenir cette éclosion. Ceux-ci travaillent en conséquence à abolir l’État, et non à le réformer.

La division, vous le voyez, est profonde. Elle correspond à deux courants divergents, qui se rencontrent dans toute la philosophie, la littérature et l’action de notre époque. Et si les notions courantes sur

  1. J’avais choisi ce sujet pour faire une conférence à Paris, le 7 mars 1896. La conférence n’ayant pas eu lieu, je développai plus tard ce sujet pour en faire la présente brochure, qui est un complément, pour ainsi dire, de mon travail L’Entr’aide, un facteur de l’Évolution, publié chez Hachette.