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Et la glorification de l’État et de la discipline, à laquelle travaillent l’Université et l’Église, la presse et les partis politiques, se prêcha si bien que les révolutionnaires mêmes n’osent regarder en face ce fétiche.

Le radical moderne est centralisateur, étatiste, jacobin à outrance. Et le socialiste lui emboîte le pas. Comme le Florentin de la fin du XVe siècle, qui ne savait plus qu’invoquer la dictature et l’État, pour le sauver des patriciens, — le socialiste ne sait qu’invoquer toujours les mêmes dieux, la dictature et l’État, pour le sauver des abominations du régime économique, créées par ce même État !


X


Si l’on approfondit un peu toutes ces diverses catégories de faits, que j’ai à peine effleurés dans ce court aperçu, on comprendra pourquoi, — voyant l’État, tel qu’il fut dans l’histoire, et tel qu’il est dans son essence même aujourd’hui — et convaincus qu’une institution sociale ne peut pas se prêter à tous les buts voulus, puisque, comme chaque organe, elle fut développée par telle fonction, dans tel but, et non pas dans tous les buts possibles, — on comprendra, dis-je, pourquoi nous concluons à l’abolition de l’État.

Nous y voyons l’institution, développée dans l’histoire des sociétés humaines pour empêcher l’union directe entre les hommes, pour entraver le développement de l’initiative locale et individuelle, pour broyer les libertés qui existaient, pour empêcher leur nouvelle éclosion.

Et nous savons qu’une institution, qui a tout un passé datant de plusieurs milliers d’années, ne peut pas se prêter à une fonction opposée à celle pour laquelle elle fut développée dans le cours de l’histoire.

À cet argument, absolument inébranlable pour quiconque a réfléchi sur l’histoire — que nous répond-on ?

On répond par un argument… presque enfantin.

— « L’État est là, nous dit-on. Il existe, il représente une puissante organisation, toute faite. Pourquoi le détruire, au lieu de l’uti-