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aussi en Allemagne, où le jeune Guillaume disait, tout récemment encore aux mineurs : « Appelez-en à moi ; mais si jamais vous vous permettez l’action vous-mêmes, vous connaîtrez le sabre de mes soldats ! »

C’est encore, et presque toujours le cas en France. Et c’est à peine si en Angleterre, après avoir lutté pendant cent ans par la société secrète, par le poignard aux traîtres et aux maîtres, par la poudre explosive versée sous les machines (pas plus loin qu’en 1860), par l’émeri versé dans les boîtes à graisse et le reste, que les travailleurs anglais commencent à conquérir le droit de grève, et l’auront bientôt en entier — s’ils ne tombent pas dans les pièges que leur tend déjà l’État, en cherchant à leur imposer son arbitrage obligatoire, en échange de la loi des huit heures.

Plus d’un siècle de luttes terribles ! Et que de misères, que d’ouvriers morts en prison, transportés en Australie, fusillés, pendus, pour reconquérir le droit de se coaliser, lequel — je ne me lasse pas de le répéter — chaque homme, libre ou serf, pratiquait librement, tant que l’État n’eut pas imposé sa lourde main sur les sociétés.

Mais quoi ! Est-ce l’ouvrier seul qui fut traité de cette façon ?

Souvenez-vous seulement des luttes que la bourgeoisie dut soutenir contre l’État pour conquérir le droit de se constituer en sociétés commerciales — un droit que l’État ne commença à concéder que lorsqu’il y découvrit un moyen commode de créer des monopoles à l’avantage de ses créatures et d’alimenter sa caisse. Pensez aux luttes pour oser écrire, parler, ou simplement penser autrement que l’État ne l’ordonne par l’Académie, l’Université et l’Église ! Aux luttes qu’il faut soutenir jusqu’à ce jour pour pouvoir enseigner aux enfants à lire — droit que l’État se réserve sans l’utiliser ! Aux luttes même pour obtenir le droit de s’amuser en commun ! Sans parler de celles qu’il faudrait soutenir pour oser choisir son juge et sa loi — chose qui fut autrefois de pratique journalière, — ni des luttes qui nous séparent du jour où on mettra au feu ce livre des peines infâmes, inventées par l’esprit de l’Inquisition et des empires despotiques de l’Orient, connu sous le nom de Code pénal !

Voyez ensuite l’impôt, — institution d’origine purement étatiste — cette arme formidable dont l’État fait usage, en Europe, comme dans

    de travail, l’abolition des restrictions contre les réunions et la conquête de la liberté de la presse se font-elles en ce moment (décembre 1905) par le fait, par l’action directe, — non pas par la législation étatiste. Pour tuer la liberté — c’est l’État. Pour conquérir la liberté — passez par-dessus l’État, démolissez-le.