Page:Kropotkine - L’État - son rôle historique, 1906.djvu/40

Cette page a été validée par deux contributeurs.

être vendu, ou que le paysan reçoive la permission de verser ses deux ou trois francs à la caisse de la commune.

Vous en doutez, peut-être ? Eh bien, vous trouverez ces cinquante papiers, énumérés et dûment numérotés par M. Tricoche, dans le Journal des Économistes (avril, 1893).

Ceci, bien entendu, sous la troisième République, car je ne parle pas des procédés barbares de l’Ancien régime qui se bornait à cinq ou six paperasses tout au plus. Aussi, les savants vous diront-ils qu’à cette époque barbare, le contrôle de l’État n’était que fictif.

Et si ce n’était que cela ! Ce ne serait, après tout, qu’une vingtaine de mille fonctionnaires de trop et un milliard de plus inscrit au budget. Une bagatelle pour les amoureux de « l’ordre » et de l’alignement.

Mais il y a pis au fond de tout cela, il y a le principe qui tue tout.

Les paysans d’un village ont mille intérêts communs : intérêts de ménage, de voisinage, de rapports constants. Ils sont forcément amenés à s’unir pour mille choses diverses. Mais l’État ne veut pas, ne peut pas admettre qu’ils s’unissent ! Puisqu’il leur donne l’école et le prêtre, le gendarme et le juge — cela doit leur suffire. Et si d’autres intérêts surgissent, — qu’ils passent par la filière de l’État et de l’Église.

Aussi, jusqu’en 1883, il était sévèrement défendu en France, aux villageois, de se syndiquer, ne serait-ce que pour acheter ensemble des engrais chimiques ou irriguer leurs prairies. Ce n’est qu’en 1883-1886 que la République se décida à accorder ce droit aux paysans, en votant, avec force précautions et entraves, une loi sur les syndicats.

Et nous, abrutis par l’éducation étatiste, nous sommes capables de nous réjouir des progrès soudains accomplis par les syndicats agricoles, sans rougir à l’idée que ce droit dont les paysans furent privés jusqu’à nos jours, appartenait à l’époque du moyen âge, sans contestation aucune, à chaque homme — libre ou serf. Esclaves que nous sommes, nous y voyons déjà une « conquête de la démocratie ».

Voilà à quel état d’abrutissement nous en sommes arrivés avec notre éducation faussée, viciée par l’État, et nos préjugés étatistes !


IX


— « Si vous avez des intérêts communs, à la ville ou au village, — demandez à l’État ou à l’Église de s’en occuper. Mais il est défendu de vous allier directement pour vous en occuper vous-mêmes ! » Telle est la formule qui résonne sans toute l’Europe depuis le XVIe siècle.