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écraser les faibles au profit des forts par les impôts, et ruiner les pays par des guerres, — tel fut le rôle de l’État naissant aux XVIe et XVIIe siècles vis-à-vis des agglomérations urbaines.

Même tactique, évidemment, pour les villages, pour les paysans. Dès que l’État s’en sentit la force, il s’empressa de détruire la commune au village, de ruiner les paysans livrés à sa merci, et de mettre les terres communales au pillage.

Les historiens et les économistes aux gages de l’État nous ont enseigné, sans doute, que la commune de village, étant devenue une forme surannée de la possession du sol, forme qui entravait les progrès de l’agriculture, dut disparaître sous l’action des forces économiques naturelles. Les politiciens et les économistes bourgeois ne cessent de le répéter jusqu’à nos jours ; et il y a même des révolutionnaires et des socialistes — ceux qui prétendent être scientifiques — qui récitent cette fable convenue, apprise à l’école.

Eh bien, jamais mensonge plus odieux n’a été affirmé dans la science. Mensonge voulu, car l’histoire fourmille de documents pour prouver à qui veut les connaître — pour la France, il suffirait presque de consulter Dalloz — que la commune de village fut d’abord privée par l’État de toutes ses attributions ; de son indépendance, de son pouvoir juridique et législatif ; et qu’ensuite ses terres furent, ou bien tout bonnement volées par les riches sous la protection de l’État, ou bien directement confisquées par l’État.

En France, le pillage commença dès le XVIe siècle et suivit son train, à plus vive allure, au siècle suivant. Dès 1659, l’État prenait les communes sous sa haute tutelle, et l’on n’a qu’à consulter l’édit de 1667, de Louis XIV, pour apprendre quel pillage des biens communaux se faisait dès cette époque. — « Chacun s’en est accommodé selon sa bienséance,… on les a partagés,… pour dépouiller les communes on s’est servi de dettes simulées » — disait le « Roi-Soleil » dans cet édit… et deux ans plus tard il confisquait à son profit tous les revenus des communes. — C’est ce qu’on appelle « mort naturelle » en langage soi-disant scientifique.

Au siècle suivant, on estime que la moitié, au bas mot, des terres communales fut simplement appropriée, sous le patronage de l’État, par la noblesse et le clergé. Et cependant, jusqu’en 1737, la commune continuait d’exister. L’assemblée du village se rassemblait sous l’orme, allouait les terres, distribuait les impôts — vous pouvez en trouver les documents chez Babeau (Le Village sous l’ancien régime), Turgot,