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Ita- et avait sa caisse fédérale, gardée à Gênes et à Venise. D’autres fédérations, telle que l’union Toscane, l’union Rhénane (qui comprenait soixante villes), les fédérations de la Westphalie, de la Bohême, de la Serbie, de la Pologne, des villes Russes, couvraient l’Europe. En même temps, l’union commerciale de la Hansa englobait des villes scandinaves, allemandes, polonaises et russes dans tout le bassin de la Baltique. Il y avait là, déjà, tous les éléments, ainsi que le fait même, de larges agglomérations humaines, librement constituées.

Voulez-vous la preuve vivante de ces groupements ? Vous l’avez dans la Suisse ! Là, l’union s’affirmait d’abord entre les communes de village (les Vieux Cantons), tout comme elle se constituait en France à la même époque dans tout le Laonnais. Et, puisque en Suisse la séparation entre la ville et le village n’a jamais été aussi profonde que pour les villes de grand commerce lointain, les villes prêtèrent main-forte à l’insurrection des paysans (du XVIe siècle), et l’union engloba villes et villages pour constituer une fédération qui se maintient jusqu’à nos jours.

Mais l’État, de par son principe même, ne peut tolérer la fédération libre. Celle-ci représente cette horreur du légiste : « l’État dans l’État. » L’État ne reconnaît pas une union librement consentie, fonctionnant dans son sein : il ne connaît que des sujets. Lui seul, et sa sœur, l’Église, s’accaparent le droit de servir de trait d’union entre les hommes.

Par conséquent l’État doit, forcément, anéantir les cités basées sur l’union directe entre citoyens. Il doit abolir toute union dans la cité, abolir la cité elle-même, abolir toute union directe entre cités. Au principe fédératif, il doit substituer le principe de soumission, de discipline. C’est sa substance. Sans ce principe, il cesse d’être État.

Et le XVIe siècle — siècle de carnage et de guerre — se résume entièrement dans cette lutte de l’État naissant contre les villes libres et leurs fédérations. Les villes sont assiégées, prises d’assaut, mises au pillage, leurs habitants décimés ou exportés.

L’État remporte la victoire sur toute la ligne. Et les conséquences, les voilà :

Au XVIe siècle, l’Europe était couverte de riches cités, dont les artisans, les maçons, les tisserands et les ciseleurs produisaient des merveilles d’art ; leurs universités jetaient les fondements de la science, leurs caravanes parcouraient les continents, et leurs vaisseaux sillonnaient les rivières et les mers.