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Déjà, au XIVe siècle (en 1358 en France et en 1381 en Angleterre), deux grands mouvements semblables avaient eu lieu. Les deux puissants soulèvements de la Jacquerie et de Wat Tyler avaient secoué la société jusque dans ses fondements. L’un et l’autre, cependant, avaient été dirigés principalement contre les seigneurs, et quoique vaincu l’un et l’autre, ils brisèrent la puissance féodale. Le soulèvement des paysans en Angleterre mit fin au servage, et la Jacquerie, en France, l’enraya tellement dans son développement, que désormais l’institution du servage ne pouvait plus que végéter sans jamais atteindre le développement qu’elle atteint plus tard en Allemagne et dans l’Europe orientale.

Maintenant, au XVIe siècle, un mouvement similaire se produisait au centre de l’Europe. Sous le nom de soulèvement hussite en Bohême, d’anabaptiste en Allemagne, en Suisse et aux Pays-Bas, ce fut — en plus de la révolte contre le seigneur — une révolte complète contre l’État et l’Église, contre le droit romain et canonique, au nom du christianisme primitif.[1]

Longtemps travesti par les historiens étatistes et ecclésiastiques, ce mouvement commence à peine à être compris aujourd’hui.

La liberté absolue de l’individu, qui ne doit obéir qu’aux seuls commandements de sa conscience, et le communisme furent le mot d’ordre de ce soulèvement. Et ce ne fut que plus tard, après que l’État et l’Église réussirent à exterminer ses plus ardents défenseurs, et à l’escamoter à leur profit, que ce mouvement, rapetissé et privé de son caractère révolutionnaire, devint la Réforme de Luther.

Il commença par l’anarchisme communiste, prêché et mis en pratique en quelques endroits. Et si l’on passe outre aux formules religieuses, qui furent un tribut à l’époque, on y trouve l’essence même du courant d’idées que nous représentons en ce moment : la négation de toutes les lois, de l’État ou divines, — la conscience de chaque individu devant être sa seule et unique loi ; la commune, maîtresse absolue de ses destinées, reprenant aux seigneurs toutes les terres et refusant toute redevance personnelle ou en argent à l’État ; le communisme enfin et l’égalité mise en pratique. Aussi, quand on demandait à Denck, un des philosophes du mouvement anabaptiste, s’il ne reconnaissait cependant pas l’autorité de la Bible, il répondait que, seule, la règle de conduite que chaque individu trouve, pour soi, dans la Bible, lui est obligatoire. Et cependant, ces formules mêmes, si vagues, empruntées au jargon ecclésiastique, — cette autorité « du livre »,

  1. Les « temps bouleversés », en Russie, au commencement du XVIIe siècle, représentent un mouvement analogue, dirigé contre le servage de l’État, mais sans base religieuse.