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qu’ils font, partout. Mais si cette révolution devient, pour la plupart, le point de départ d’un renouveau de toute la vie et de tous les arts (cela se voit si bien à Florence), dans d’autres cités, elle se termine par la victoire du popolo grasso sur le popolo basso — par un écrasement, par des déportations en masse, des exécutions, surtout quand les seigneurs et les prêtres s’en mêlent.

Et, faut-il le dire, c’est la défense du « bas peuple » que le roi prendra pour prétexte, afin d’écraser le « peuple gras » et les subjuguer les uns et les autres, lorsqu’il se sera rendu maître de la cité !

Et puis, les cités devaient mourir, puisque les idées mêmes des hommes avaient changé. L’enseignement du droit canonique et du droit romain avait perverti les esprits.

L’Européen du XIIe siècle était essentiellement fédéraliste. Homme de libre initiative, de libre entente, d’unions voulues et librement consenties, il voyait en lui-même le point de départ de toute société. Il ne cherchait pas son salut dans l’obéissance ; il ne demandait pas un sauveur de la société. L’idée de discipline chrétienne et romaine lui était inconnue.

Mais, sous l’influence de l’Église chrétienne toujours amoureuse d’autorité, toujours jalouse d’imposer sa domination sur les âmes et surtout le travail des fidèles ; et d’autre part, sous l’influence du droit romain qui déjà, dès le XIIe siècle, fait ravage à la cour des puissants seigneurs, rois et papes, et devient bientôt l’étude favorite dans les universités — sous l’influence de ces deux enseignements, qui s’accordent si bien, quoique ennemis acharnés à l’origine, les esprits se dépravent à mesure que le prêtre et le légiste triomphent.

L’homme devient amoureux de l’autorité. Une révolution des bas métiers s’accomplit-elle dans une commune, la commune appelle un sauveur. Elle se donne un dictateur, un César municipal, et elle lui accorde pleins pouvoirs pour exterminer le parti opposé. Et il en profite, avec tous les raffinements de cruauté que lui souffle l’Église ou les exemples rapportés des royaumes despotiques de l’Orient.

L’Église l’appuie sans doute. N’a-t-elle pas toujours rêvé le roi biblique, qui s’agenouillera devant le grand-prêtre et en sera l’instrument docile ? N’a-t-elle pas haï de toute sa force ces idées de rationalisme qui soufflaient sur les villes libres lors de la première Renaissance, celle du XIIe siècle ; n’a-t-elle pas maudit ces idées « païennes » qui ramenaient l’homme à la nature sous l’influence de la re-découverte de la civilisation grecque ? Et plus tard, n’a-t-elle pas fait étouffer par les princes ces idées, qui, au nom du christianisme primitif, soulevaient les hommes contre le pape, le prêtre et le culte en général ? Le feu, la roue, le gibet — ces armes si chères de tout temps à l’Église —