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nouvelle grandit et atteint un épanouissement tel qu’on n’en a vu de pareil dans l’histoire jusqu’à nos jours.

Toute l’industrie moderne nous vient de ces cités. En trois siècles, les industries et les arts y arrivèrent à une si grande perfection que notre siècle n’a su les surpasser qu’en rapidité de la production, mais rarement en qualité, et très rarement en beauté du produit. Tous les arts que nous cherchons en vain à ressusciter aujourd’hui, — la beauté de Raphaël, la vigueur et l’audace de Michel-Ange, la science et l’art de Léonard de Vinci, la poésie et la langue de Dante, l’architecture enfin, à laquelle nous devons les cathédrales de Laon, de Reims, de Cologne, — « le peuple en fut le maçon », a si bien dit Victor Hugo — les trésors de beauté de Florence et de Venise, les hôtels de ville de Brème et de Prague, les tours de Nuremberg et de Pise, et ainsi de suite à l’infini, — tout cela fut le produit de cette période.

Voulez-vous mesurer les progrès de cette civilisation d’un seul coup d’œil ? Comparez le dôme de Saint-Marc de Venise à l’arche rustique des Normands, les peintures de Raphaël aux broderies des tapisseries de Bayeux, les instruments mathématiques et physiques et les horloges de Nuremberg aux horloges de sable des siècles précédents, la langue sonore de Dante au latin barbare du Xe siècle… Un monde nouveau est éclos entre les deux !

Jamais, à l’exception de cette autre période glorieuse — toujours des cités libres — de la Grèce antique, l’humanité n’avait fait un tel pas en avant. Jamais, en deux ou trois siècles, l’homme n’avait subi une modification si profonde ni étendu ainsi son pouvoir sur les forces de la nature…

Vous pensez peut-être à la civilisation de notre siècle dont on ne cesse de vanter les progrès ? Mais en chacune de ses manifestations elle n’est que la fille de la civilisation grandie au sein des communes libres. Toutes les grandes découvertes qui ont fait la science moderne, — le compas, l’horloge, la montre, l’imprimerie, les découvertes maritimes, la poudre à canon, les lois de la chute des corps, la pression de l’atmosphère, dont la machine à vapeur ne fut qu’un développement, les rudiments de la chimie, la méthode scientifique déjà indiquée par Roger Bacon et pratiquée dans les universités italiennes, — d’où vient tout cela, si ce n’est des cités libres, de la civilisation qui fut développée à l’abri des libertés communales ?

Mais on dira, peut-être, que j’oublie les conflits, les luttes intestines, dont l’histoire de ces communes est remplie, le tumulte dans la rue, les batailles acharnées contre les seigneurs, les insur-