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III

La commune de village se composait, comme elle se compose encore, de familles séparées. Mais les familles d’un même village possédaient la terre en commun. Elles la considéraient comme leur patrimoine commun et se la répartissaient selon la grandeur des familles — leurs besoins et leurs forces. Des centaines de millions d’hommes vivent encore sous ce régime dans l’Europe orientale, aux Indes, à Java, etc. C’est le même régime que les paysans russes ont établi, de nos jours, librement en Sibérie, lorsque l’État leur eut laissé la latitude d’occuper l’immense territoire Sibérien comme ils l’entendaient.

Aujourd’hui, la culture de la terre dans une communauté villageoise se fait par chaque ménage séparément. Toute la terre arable étant divisée entre les ménages, chacun cultive son champ, comme il peut. Mais au début, la culture se faisait aussi en commun, et cette coutume se maintient encore dans beaucoup d’endroits — du moins, pour une partie des terres. Quant au déboisement, à l’éclaircissement des forêts, la construction des ponts, l’élévation des fortins et des tourelles, qui servaient de refuge en cas d’invasion — tout cela se faisait en commun, comme le font encore des centaines de millions de paysans, — là où la commune de village a résisté aux envahissements de l’État. Mais « la consommation », pour me servir d’une expression moderne, avait déjà lieu par familles, dont chacune avait son bétail, son potager et ses provisions. Les moyens de thésauriser et de transmettre les biens accumulés par héritage s’étaient déjà introduits.

Dans toutes ses affaires, la commune de village était souveraine. La coutume locale faisait loi, et l’assemblée plénière de tous les chefs de famille, hommes et femmes, était le juge, le seul juge, en matière civile et criminelle. Quand un des habitants, se plaignant contre un autre, avait planté son couteau en terre à l’endroit où la commune se réunissait d’ordinaire, la commune devait « trouver la sentence » selon la coutume locale, après que le fait avait été établi par les jurés des deux parties en litige.

Le temps me manquerait si je voulais vous dire tout ce que cette phase offre d’intéressant.[1] Il me suffira de remarquer que toutes les institutions dont les États s’emparèrent plus tard au bénéfice des minorités, toutes les notions de droit que nous trouvons (mutilées à

  1. Pour plus amples renseignements, voyez L’Entr’aide.