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d’État et de propriété (ce à quoi les socialistes autoritaires travaillent drûment) — alors il devra encore une fois abandonner le soin d’établir cette organisation à ceux qui en sont les vrais représentants historiques — les bourgeois.

S’il ne comprend pas que la vraie raison d’être d’une révolution populaire est de démolir l’État, nécessairement hiérarchique, pour rechercher à sa place la libre entente des individus et des groupes, la fédération libre et temporaire (chaque fois dans un but déterminé) ; s’il ne comprend pas qu’il faut abolir la propriété et le droit de l’acquérir, supprimer le gouvernement des élus, qui est venu se substituer au libre consentement de tous ; si le peuple renonce aux traditions de liberté de l’individu, de groupement volontaire et du libre consentement, devenant la base des règles de conduite, — traditions qui ont fait l’essence de tous les mouvements populaires précédents et de toutes les institutions de création populaire ; s’il abandonne ces traditions et reprend celles de la Rome romaine et catholique, — alors il n’aura que faire dans la révolution ; il devra laisser tout à la bourgeoisie, et se borner à lui demander quelques concessions.

La conception étatiste est absolument étrangère au peuple. Heureusement, il n’y comprend rien, il ne sait pas s’en servir. Il est resté peuple ; il est resté imbu de conceptions de ce que l’on appelle le droit commun — conceptions basées sur des idées de justice réciproque entre individus, sur des faits réels, tandis que le droit des États est basé, soit sur des conceptions métaphysiques, soit sur des fictions, soit sur des interprétations de mots, créés à Rome et à Byzance pendant une période de décomposition, pour justifier l’exploitation et la suppression des droits populaires.

Le peuple a essayé à plusieurs reprises de rentrer dans les cadres de l’État, de s’en emparer, de s’en servir. Il n’y a jamais réussi.

Et il finissait toujours par abandonner ce mécanisme d’hiérarchie et de lois à d’autres que lui ; au souverain après les révolutions du seizième siècle ; aux bourgeois après celles du dix-septième en Angleterre et du dix-huitième en France.