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la tâche sera autrement difficile. — Y a-t-il assez de farines ? Viendront-elles jusqu’aux fours des boulangers ? Et comment faire pour que les apports de viande et de légumes ne cessent pas ? Chacun a-t-il un logis ? Le vêtement ne manque-t-il pas ? et ainsi de suite. Voilà ce qui nous préoccupera.

Mais tout cela demandera un travail immense, féroce, — c’est le mot — de la part de ceux qui auront à cœur le succès de la révolution. — « D’autres ont eu la fièvre pendant huit jours, six semaines » disait un ancien conventionnel dans ses mémoires, — « nous l’avons eue pendant quatre ans sans interruption ». Et c’est miné de cette fièvre, au milieu de toutes les hostilités et de tous les déboires — car il y en aura aussi — que le révolutionnaire devra travailler.

Il devra agir. Mais comment agir s’il ne sait, dès longtemps, quelle idée le guidera, quelles sont les grandes lignes de l’organisation qui, selon lui, répond aux besoins du peuple, à ses désirs vagues, à sa volonté indécise ?

Et on ose encore dire que de tout cela nul besoin, que tout s’arrangera de soi-même ! Plus intelligents que ça, les bourgeois étudient déjà les moyens de mater la révolution, de l’escamoter, de la lancer dans une voie où elle devra échouer. Ils étudient, non seulement les moyens d’écraser par les armes le soulèvement populaire, dans les campagnes (au moyen de petits trains blindés, de mitrailleuses), aussi bien que dans les villes (ici, les états-majors ont étudié les détails en perfection) ; mais ils étudient aussi les moyens pour mater la révolution en lui faisant des concessions imaginaires mais opportunes, en semant la corruption parmi les révolutionnaires, en les lançant dans des voies où la révolution est sûre de s’embourber dans la fange de l’intérêt personnel et des luttes mesquines individuelles.

Oui, la révolution sera une fête, si elle travaille à l’affranchissement de tous ; mais pour que cet affranchissement s’accomplisse, le révolutionnaire devra déployer une audace de pensée, une énergie d’action, une sûreté de jugement, et une âpreté au travail dont le peuple a rarement fait preuve dans les révolutions précédentes, mais dont les précurseurs commencèrent