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un an ou deux, totalement réorganiser la France selon leur idéal et lui donner un code civil (usurpé plus tard par Napoléon), — code qui fut copié plus tard par les bourgeoisies européennes, dès qu’elles arrivaient au pouvoir.

Ils travaillaient à cela avec un ensemble merveilleux. Et si, plus tard, des luttes terribles surgirent dans la Convention, ce fut parce que le peuple, se voyant trompé dans ses espérances, vint avec de nouvelles réclamations, que ses meneurs ne comprirent même pas, ou que quelques-uns d’entre eux cherchèrent vainement à concilier avec la révolution bourgeoise.

Les bourgeois savaient ce qu’ils voulaient ; ils y avaient pensé dès longtemps. Pendant de longues années, ils avaient nourri un idéal de gouvernement ; et quand le peuple se souleva, ils le firent travailler à la réalisation de leur idéal, en lui faisant quelques concessions secondaires sur certains points, tels que l’abolition des droits féodaux ou l’égalité devant la loi[1].

Sans s’embrouiller dans les détails, les bourgeois avaient établi, bien avant la révolution, les grandes lignes de l’avenir. Pouvons-nous en dire autant des travailleurs ?

Malheureusement non. Dans tout le socialisme moderne, et surtout dans sa fraction modérée, nous voyons une tendance prononcée à ne pas approfondir les principes de la société que l’on voudrait faire triompher par la révolution. Cela se comprend. Pour les modérés, parler révolution c’est déjà se compromettre, et ils entrevoient que s’ils traçaient devant les travailleurs un simple plan de réformes, ils perdraient leurs plus ardents partisans. Aussi préfèrent-ils traiter avec mépris ceux qui parlent de société future ou cherchent à préciser l’œuvre de la révolution. « On verra plus tard, on choisira les meilleurs hommes, et ceux-ci feront tout pour le mieux ! » Voilà leur réponse.

  1. Voyez la Grande Révolution. Paris. (Stock éditeur.) 1908