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alors dans le camp des exploiteurs. Ou bien, si vous avez du cœur, vous vous direz : — « Non, ce n’est pas le temps de faire des découvertes ! Travaillons d’abord à transformer le régime de la production ; lorsque la propriété individuelle sera abolie, alors chaque nouveau progrès industriel se fera au bénéfice de toute l’humanité ; et toute cette masse de travailleurs, machines aujourd’hui, êtres pensants alors, appliquant à l’industrie leur intuition soutenue par l’étude et exercée par le travail manuel, le progrès technique prendra un essor qui fera en cinquante ans ce que nous n’osons pas même rêver aujourd’hui. »


Et que dire au maître d’école, — non pas à celui qui considère sa profession comme un ennuyeux métier, mais à celui qui, entouré d’une bande joyeuse de moutards, se sent à son aise sous leurs regards animés, au milieu de leurs joyeux sourires, et qui cherche à réveiller dans ces petites têtes les idées humanitaires qu’il caressait lui-même lorsqu’il était jeune ?

Souvent, je vous vois triste, et je sais ce qui vous fait froncer les sourcils. Aujourd’hui votre élève le plus aimé, qui n’est pas très avancé en latin, c’est vrai, mais n’en a pas moins bon cœur, racontait avec tant d’entrain la légende de Guillaume Tell ! ses yeux brillaient, il semblait vouloir poignarder sur place tous les tyrans ; il disait avec tant de feu ce vers passionné de Schiller :

Devant l’esclave, quand il rompt sa chaîne,
Devant l’homme libre, ne tremble pas !

Mais rentré à la maison, sa mère, son père, son oncle, l’ont vertement réprimandé pour le manque d’égards qu’il a eu envers M. le pasteur ou le garde champêtre : ils lui ont chanté pendant