Page:Krafft-Ebing - Psychopathia Sexualis, Carré, 1895.djvu/404

Cette page a été validée par deux contributeurs.

six semaines, pendant lesquelles l’instinct génital ne se manifeste pas du tout. Malheureusement ces périodes sont très rares et sont suivies ordinairement d’un réveil d’autant plus violent de mon terrible instinct, qui, s’il n’est pas satisfait, me cause de grands malaises physiques et intellectuels. Je suis alors de mauvaise humeur, déprimé moralement, irritable ; je fuis la société ; mais toutes ces particularités disparaissent à la première occasion qui me permet de satisfaire mon instinct génital. Je dois remarquer que, en général, pour les causes les plus futiles, mon humeur peut varier plusieurs fois dans la même journée ; elle est comme le temps d’avril.

Je danse bien et volontiers ; mais je n’aime la danse qu’à cause de ses mouvements rythmiques et de ma prédilection pour la musique.

Enfin je dois faire mention d’une chose qui provoque toujours mon indignation. On nous prend en général pour des malades ; c’est à tort. Car, pour toute maladie, il y a un remède ou un calmant ; or aucune puissance au monde ne pourrait ôter à un uraniste sa prédisposition invertie. La suggestion hypnotique même, qu’on a souvent appliquée avec un succès apparent, ne peut pas amener de transformation durable dans la vie psychique d’un uraniste. Chez nous, on confond l’effet avec la cause. On nous prend pour des malades, parce que la plupart d’entre nous le deviennent réellement avec le temps. Je suis profondément convaincu que les deux tiers de nous, arrivés à un âge avancé, s’ils y arrivent jamais, auront une défectuosité mentale, et c’est facile à expliquer. Quelle force de volonté et quels nerfs ne doit-on pas avoir pour pouvoir pendant toute sa vie et sans interruption dissimuler, mentir, être hypocrite ! Que de fois, quand, dans un cercle de gens normaux, la conservation tombe sur l’inversion sexuelle, n’est-on pas obligé de se rallier aux calomnies et aux injures, tandis que chacun de ces propos agit sur nous comme un couteau tranchant ! D’autre part, être obligé d’écouter les propos et les mots d’esprit inconvenants et ennuyeux sur les femmes, feindre un intérêt et une attention pour ces conversations qui aujourd’hui sont en vogue dans la soi-disant « bonne compagnie » ! Voir tous les jours, presqu’à chaque heure, de beaux hommes auxquels on ne peut se révéler, être forcé de se priver pendant des semaines, des mois même, de l’ami dont nous aurions tellement besoin, et par-dessus tout la peur terrible et continuelle de se trahir devant les hommes, d’être couvert de honte et d’opprobre !