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jours un peu déprimé, d’autant plus que je suis d’un caractère franc qui déteste tout mensonge. Le chagrin que j’ai d’être obligé de tout cacher dans mon for intérieur, m’a décidé à avouer mon anomalie à quelques amis dont la discrétion et l’intelligence sont absolument sûres. Bien que parfois ma situation me paraisse triste, à cause de la difficulté que j’ai à me satisfaire et du mépris général qu’inspire l’amour pour l’homme, j’ai souvent des moments où je tire presque vanité de mes sentiments anormaux. Je ne me marierai jamais, cela est entendu ; je n’y vois aucun mal, bien que j’aime la vie de famille et que j’aie passé jusqu’ici ma vie dans ma famille. Je vis dans l’espoir d’avoir à l’avenir un amant masculin pour toujours ; il faut que j’en trouve un, sans cela l’avenir me paraîtrait sombre et monotone, et toutes les choses auxquelles on aspire ordinairement, honneurs, haute position, etc., ne seraient que vanité et choses sans attraits.

Si cet espoir ne devait pas se réaliser, je sens que je ne serais plus capable de me consacrer à mon métier ; je serais capable de reléguer tout au second rang pour obtenir l’amour des hommes. Je n’ai plus de scrupules moraux au sujet de mon anomalie ; en général, je ne me préoccupe guère de ce fait que je suis attiré par les charmes des jeunes hommes. Du reste, je juge la moralité et l’immoralité plutôt d’après mes sentiments que d’après des principes absolus, étant toujours enclin à un certain scepticisme et n’ayant pu encore arriver à me former une philosophie arrêtée.

Jusqu’ici il me semble qu’il n’y a de mauvais et d’immoral que les faits qui portent préjudice à autrui, les actes que je ne voudrais pas qu’on me fît à moi-même ; mais, je puis dire à ce sujet que j’évite autant que possible d’empiéter sur les droits d’autrui ; je suis capable de me révolter contre toute injustice qui serait commise envers un tiers. Mais je ne vois pas comment ni pourquoi l’amour pour les hommes serait contraire à la morale. Une activité sexuelle sans but – (si l’on voit l’immoralité dans l’absence du but, dans le fait contre nature) – existe aussi dans les rapports avec les prostituées, même dans les mariages où l’on se sert de préservatifs contre la procréation des enfants. Voilà pourquoi les rapports sexuels avec des hommes doivent, à mon avis, être placés au même niveau que tout rapport sexuel qui n’a pas pour but de faire des enfants. Mais, il me paraît bien douteux qu’une satisfaction sexuelle doive être considérée comme morale,