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Dans ce cas la vue de l’ensemble du corps produit l’effet d’un fétiche.

Comme le fait remarquer Binet, des parties d’un individu, des qualités physiques ou morales peuvent aussi agir comme fétiches sur une personne du sexe opposé, si la vue de ces parties de l’individu coïncide accidentellement avec une excitation sexuelle ou si elle en provoque une.

C’est un fait établi par l’expérience que cette association d’idées dépend du hasard, que l’objet fétiche peut être très varié, et qu’il en résulte les sympathies les plus étranges de même que les antipathies les plus curieuses.

Ce fait physiologique du fétichisme explique les sympathies individuelles entre homme et femme, la préférence qu’on donne à une personne déterminée sur toutes les autres du même sexe. Comme le fétiche ne représente qu’un symbole individuel, il est évident que son impression ne peut se produire que sur un individu déterminé. Il évoque de très fortes sensations de plaisir ; par suite il fait, par un trompe-l’œil, disparaître les défauts de l’objet aimé – (l’amour rend aveugle) – et provoque une exaltation fondée sur l’impression individuelle, exaltation qui paraît aux autres inexplicable et même ridicule. On s’explique ainsi que l’homme calme ne puisse pas comprendre l’amoureux qui idolâtre la personne aimée, en fait un véritable culte et lui attribue des qualités que celle-ci, vue objectivement, ne possède nullement. Ainsi s’explique également le fait que l’amour devient plus qu’une passion, qu’il se présente comme un état psychique exceptionnel dans lequel l’impossible paraît possible, le laid semble beau, le vulgaire sublime, état dans lequel tout autre intérêt et tout autre devoir disparaissent.

Tarde (Archives de l’anthropologie criminelle, 5e année, nº 3) fait judicieusement ressortir que, non seulement chez les individus mais aussi chez les nations, le fétiche peut être différent, mais que l’idéal général de la beauté reste toujours le même chez les peuples civilisés de la même époque.